Bernard Pallandre, conservateur du Musée Ampère a choisi dans l’abondante correspondance d’Ampère quelques lettres qu’une troupe de comédiens et danseurs amateurs ont interprétées dans un spectacle « La famille du grand Ampère ». Les spectateurs ont ainsi pu retrouver les proches d’André-Marie Ampère, sa famille, son grand amour Julie Carron mais aussi ses amis ou collègues comme Julien Bredin, Maine de Biran, Fresne , Cuvier et bien d’autres encore. Des ballets de danses anciennes alternaient avec les lectures qui proposaient aux spectateurs de découvrir Ampère sous un angle particulier.
Un grand bravo à la troupe de comédiens et danseurs , très applaudis lors des représentations du 14 et 15 juin, salle Pillonel à Poleymieux au Mont d’Or, à l’occasion du festival Ampère.
Les proches d’André-Marie Ampère cités dans les lettres
- Ses parents : Jean-Jacques Ampère – Jeanne Sarcey
- Ses soeurs : Antoinette – Joséphine
- Sa première épouse : Julie Carron Leur fils : Jean-Jacques
- Sa nièce (fille de François) : Eliza
- Ses tante et grand-tante : Antoinette Sarcey, Claudine Sarcey
- Sa deuxième épouse : Jenny Potot Leur fille : Albine
- Des cousins et cousine : Claude Ampaire, Francisque, mlle Sarcey
- Ses amis : Julien Bredin, Ballanche, Degérando, Dupré, Roux, Bonjour, Gronier
- Des voisins et domestiques : François, Demoiselles Boeuf, M. Navarre, Claudine
- Des collègues : Clerc, Beauregard, Maine de Biran, Tracy, Depretz, Poisson, Demussy, Pictet, Candolle, Roux, Fresnel, Hachette, Cuvier

Les lettres choisies
A l’exception de la lettre datée du 30 avril 1829 conservée au Musée Ampère, les lettres lues ont été publiées par Louis de Launay dans « La correspondance du grand Ampère ». Les manuscrits sont conservés en différents lieux dont les archives de l’Académie des Sciences à Paris
Acte de naissance d’André-Marie Ampère (22 janvier 1775)
Le 22 janvier, j’ai baptisé André-Marie, né le 20, fils de Sieur Jean-Jacques Ampère, bourgeois de Lyon et de demoiselle Jeanne-Antoinette de Sarcey, son épouse. Parrain : Sieur André de Sutières-Sarcey, ancien capitaine au régiment de Bretagne ; marraine : dame Marie – Magdeleine Bertoy, veuve de Sieur François Haller, marchand mercier à Paris, représentée par demoiselle Antoinette Sarcey, fille mineure, qui, avec le père, ont signé.
Lettre d’Elise à sa soeur Julie (7 janvier 1797)
Ce jeudi soir, 7 janvier 1797
Ce pauvre Ampère est sûrement gelé en quelque coin ou il se dégèle près de toi, car je ne l’ai vu ni par trou ni par fenêtre. Je tremble qu’il ne t’ait aperçue là-bas et qu’il ne soit pas revenu à Poleymieux ; c’est moi qui serais cause de ça. Je me dis pourtant quil a trop de délicatesse pour ne pas sentir qu’il n’y en aurait point à aller te rendre ses visites à Lyon, maman n’étant pas près de toi. D’un autre côté, s’il pense que nous sommes seules à Saint-Germain, c’est une raison pour l’empêcher dy mettre le pied. Je voudrais pourtant quil y vint, car ils vont tous croire ce qui est, ne doutant plus que les livres ne servent de prétexte. et qu’en ton absence il n’ait plus d’empressement à les apporter. La neige ne fond point depuis le lendemain de ton départ, et Mme Ampère l’empêche peut-être de se mettre en route. Enfin je m’y perds, et voudrais vite savoir si tu l’as vu. Les peigneurs de Chanvre ont dit à Claudine que c’était la maison du Bon Dieu, que la maman et le fils étaient si bons, si bons, que c’était plaisir chez eux. Viendra-t-il demain ? Je regarde toujours de ma place et ne vois rien. S’il arrive et que maman sorte de la salle, il me va prendre à partie. J’ai déjà préparé mille petites réponses qui sont toujours les mêmes ; j’en voudrais savoir qui pussent l’entendre content, sans trop avancer les choses, car il m’intéresse par sa franchise, sa douceur, et surtout par ses larmes qui sortent sans qu’il le veuille. Pas la moindre affectation, point de ces phrases de roman qui sont le langage de tant d’autres. Arrange-toi comme tu voudras, mais laisse-moi l’aimer un peu avant que tu l’aimes ; il est si bon ! Je viens d’avoir avec maman une longue conversation sur vous deux. Maman assure que la Providence mènera tout ; moi je dis qu’il faut aider la Providence. Elle prétend qu’il est bien jeune, je réponds qu’il est bien raisonnable, plus quon ne l’est à son âge. Mais tu sais, et de reste, tout ce que nous disons et répétons ensemble ; il faut donc attendre qu’il soit venu pour avoir quelque chose de nouveau à t’apprendre. Je vais adresser ma lettre à ma sœur, que tu embrasseras bien fort pour moi.
Je t’embrasse bien fort.
Elise CARRON
Extrait du journal intime d’André-Marie Ampère (juillet 1797)
Samedi 1 juillet 1797
J’y fus porter des fleurs de tilleul, avec ma sœur et ma tatan, qui resta d’abord avec ma tante, et ne vînt nous trouver qu’à 6 heures. A 7 heures je fus me promener dans le jardin avec ma sœur et Julie, qui lui fit un bouquet de jasmin, de troène, d’aurone et de campanule double, dont elle me donna une fleur que j’ai mise dans le petit tableau.
Dimanche 2
Nous les vîmes après la messe, ma sœur se plaça auprès de Julie ; nous les accompagnâmes ensuite jusqu’au pont du cordonnier.
Lundi 3
Elles vinrent enfin nous voir à 3h3/4. Nous fûmes dans l’allée, où je montai sur le grand cerisier, d’où je jetai des cerises à Julie, Élise et ma sœur. Tout le monde vint ensuite. Je cédai ma place à François, qui nous baissa des branches où nous cueillîmes nous-mêmes, ce qui amusa beaucoup Julie. On apporta le goûter, elle s’assit sur une planche à terre avec ma sœur et Élise, et je me mis sur l’herbe à côté d’elle ; je mangeai des cerises qui avaient été sur ses genoux. Nous fûmes tous les quatre au grand jardin, où elle accepta un lis de ma main. Nous allâmes ensuite voir le ruisseau ; je lui donnai la main pour sauter le petit mur, et les deux mains pour le remonter. Je m’étais assis à côté d’elle, au bord du ruisseau, loin d’Élise et de ma sœur.
Nous les accompagnâmes le soir jusqu’au moulin à vent, où je m’assis encore à côté d’elle pour observer nous quatre le coucher du soleil qui dorait ses habits d’une lumière charmante. Elle emporta un deuxième lis que je lui donnai en passant pour s’en aller dans le grand jardin.
Lettre d’André à Julie (13 mars 1799)
Lyon, 13 mars 1799,
Mademoiselle,
Mille fois merci du charmant talisman ! Le plaisir de le lire et de le relire, de le mettre sous mon chevet, dans mon portefeuille, m’a procuré un sommeil si doux, de si délicieux rêves, qu’il n’y a point de maux qui eussent pu résister.
Demain, à sept heures, je m’embarque avec ma tante sur la diligence de Neuville ; à dix heures, j’aurai déjà traversé la Saône ; me voilà montant à Saint-Germain par le chemin des amoureux ; jamais il n’aura mieux mérité ce nom. J’aperçois bientôt dans le lointain la jolie maison blanche, et mon pas devient plus rapide. Pour ne point quitter ma tatan au milieu du bois, je reviens cinq à six fois au-devant d’elle. Ô disgrâce imprévue ! Il faut l’accompagner chez Mme Sarcey. Voilà un des plus beaux instants de ma vie retardé de cinq minutes ! Cinq minutes sont bien longues dans une pareille circonstance. Mais les pieds me brûlent, et j’abrège ma visite en disant que Mme Périsse m’a donné telle ou telle commission.
C’est alors que mon cœur bat. Je traverse rapidement le peu d’espace qui me reste à parcourir, j’entre dans la cour , j’approche de la porte, je l’ouvre. Il n’y a point d’expressions qui puissent peindre les sensations que j’éprouve ; le cœur de Julie saura lire dans le mien, à travers mon embarras, mon air gauche et contraint.
Daignez, Mademoiselle, redire à ma seconde maman tous mes sentiments de reconnaissance.
A demain, à demain.
AMPERE
Vers de Julie écrits le 30 novembre 1799 pour la Saint André
Après trois ans d’un tendre amour
Tu te vois l’époux de Julie.
Tu voudrais que ses plus beaux jours
Fussent pris sur ceux de ta vie.
Son bonheur est tout pour le tien.
Souvent le tien elle partage.
Oui, quand deux cœurs s’entendent bien,
On est heureux dans son ménage.
Je voudrais te faire un couplet
Qui ne fut ni froid ni trop tendre,
Qui te peigne un cœur satisfait
D’en voir un qui sait bien l’entendre.
Ce sort nous unit pour toujours,
Toi tendre ami, moi bonne amie ;
Et, sans être brûlant d’amour,
Heureuse sera notre vie.
Pour ton bouquet j’ai réuni
Les fleurs données à ta Julie.
C’est l’amitié qui les a cueillies ;
C’est le don de deux cœurs chéris.
J’y joins la couleur qui te plaît.
De la tendresse c’est l’emblème
Et tous les jours, si tu la mets,
Tu penseras que Julie t’aime.
Lettre de Jeanne, maman d’Ampère, à Julie (1800)
Ma Julie s’inquiète, elle n’est pas sage. Pourquoi, ma bonne amie, avoir des idées noires ? Rien de plus naturel que de mettre au monde des petits êtres qui, deux ou trois mois après avoir vu le jour, vous sourient et vous tendent les bras. Ne pense qu’à la satisfaction que tu auras quand tu entendras une voix douce qui t’appellera maman. C’est un plaisir qui fait oublier les souffrances qu’il nous a coûtées. Je ne te dirai pas que les douleurs ne sont rien, mais plus elles sont fortes, plus tôt on est délivré. Du courage, ma chère fille. Nous avons eu dans ce pays sept heureux accouchements en deux mois, dont trois sont des premiers enfants ; pourquoi ma Julie se tourmenterait-elle? Tout ira bien. Sois sage, ne te fais pas gronder par ta seconde mère. Dis à la première, car je suis obligée de lui céder ce droit, mille jolies choses de ma part ; j`irai près d’elle incessamment pour l’aider à rendre notre fille tout à fait raisonnable. Les demoiselles Bœuf vinrent me voir avec M. Navarre un instant après que mon fils fut parti ; elles croyaient que tu étais accouchée.
J’ai encore du coton plat pour tricoter une seconde paire de bas à ton mari. Joséphine n’a pas de plus grand plaisir que de travailler pour sa sœur Julie.
Adieu, ma chère fille, dissipe-toi, ne reste jamais seule. Puisque les grandes courses te fatiguent, elles ne te valent rien, fais un petit tour sur le quai quand Ie soleil est couché. Je te prie de me rappeler au souvenir de ta famille.
Aime-moi toujours autant que je l’aime, c’est la plus grande consolation que puisse avoir ta bonne mère.
Jeanne Veuve AMPÈRE
Lettre de Julie à André (26 février 1802)
Du vendredi matin
Hier jeudi, nous fûmes dîner, avec maman, Élise, chez Mme de Cales, qui aurait voulu te voir avant ton départ. Elle me fait toujours mille amitiés et t’aime bien. Nous revînmes ensuite chez mes cousins. On vit la lanterne magique. Je tenais mon petit sur mes genoux et je jouissais de tous ses mouvements. Mais, lorsqu’il vit Gargantua, il me disait tout bas : » Papa, papa ! : Cela me fît rire parce que cette figure avait un chapeau énorme, et c’est à tous les chapeaux qu’il dit « papa «. Je dansai une contredanse, je valsai avec Francisque et cela m’amusa bien. Mais, quand je pense que, la seule fois ou je me suis un peu amusée,
c’est depuis que mon pauvre mari n’y est pas, lui qui est si content de voir rire sa Julie, qui aurait été satisfait de la voir danser, cela me serre le cœur et je sens encore plus que, pour être bien tous deux, il faut être ensemble. Tu penses comme moi, mon bon ami et cependant tu sais qu’il est impossible que j’aille te rejoindre avant d’avoir fait tant de choses qu’il faut terminer…. Le petit a deux dents de plus, cela fait douze.
Lettre d’André à Julie (27 avril 1802)
Du mardi matin
]’ai oublié, ma bonne amie, de te dire que les vacances des décadis et quintidis sont déjà supprimées dans cette école et qu’on est libre le dimanche et le mercredi. On a préféré ce dernier au jeudi à cause que c’est le jour du marché et que cela accommode mieux plusieurs professeurs, surtout ceux qui sont en ménage.
Il y a sept ans que je m’étais proposé un problème de mon invention que je n’avais point pu résoudre directement, mais dont j’avais trouvé par hasard une solution dont je connaissais la justesse sans pouvoir la démontrer. Cela me revenait souvent dans l’esprit, et j’ai cherché vingt fois sans succès pour trouver directement cette solution. Depuis quelques jours, cette idée me suivait partout. Enfin je ne sais comment, je viens de la trouver, avec une foule de considérations curieuses et nouvelles sur la théorie des probabilités. Comme je crois qu’il y a peu de mathématiciens en France qui puissent résoudre ce problème en moins de temps, je ne doute pas que sa publication dans une brochure d’une vingtaine de pages ne me fût un bon moyen de parvenir à une chaire de mathématiques dans un lycée. Ce petit ouvrage d’algèbre pure et où l’on a besoin d’aucune figure, sera rédigé après-demain. Je le relirai et le corrigerai jusqu’à la semaine prochaine que je te l’enverrai par Pochon. Dès que mon manuscrit sera à Lyon, il faut qu’il s’imprime. Tu en priera de ma part tes cousins.
Lettre d’André à Julie (14 mai 1802)
Du vendredi matin
Depuis que je consacre tout mon temps à d’arides calculs, mes journées passent avec une telle rapidité, quoiqu’assez ennuyeusement, que je ne me trouve pas un moment de liberté. Je voulais t’écrire hier, ma bonne amie ; mais, comme j’étais dans un tas de calculs, je condamnai mon cœur au jeûne rigoureux qu’il éprouve quand je passe un jour sans lui accorder son pain quotidien, c’est-à-dire un peu de bout de journal. Pauvre journal, qu’il est sec et qu’il doit t’ennuyer ! Tous mes jours se ressemblent, je t’aime, je bois et mange, dors et donne mes leçons. Le lendemain, c’est à recommencer.
Pour varier, j’ai fait connaissance, c’est à dire j’ai dîné avec le frère de Monsieur Clerc, qui l’amena l’autre jour dîner chez Mme Beauregard.
Figure-toi un paysan niais de mine et de langage, sans l’être peut-être sur tous les points, je n’en sais rien ; il parle par monosyllabes ; il cherche à parler français, mais son patois de Saint- Claude se décèle dans tout son langage, surtout à l’accent…
Lettre d’Elise à Ampère, son beau-frère, peu après le décès de Julie
Mon bon Ampère, je sais qu’il n’est plus doux de s’occuper de soi, que tout est égal, aussi n’est-ce pas pour toi que je t’en prie. Ne penses-tu pas, comme moi, que cette ombre chérie voltige autour de nous, s’intéresse encore à ceux qui lui étaient si chers ? je l’appelle si souvent ! La nuit, je crois l’entendre ; j’écoute, et si ce n’est-elle, c’est quelque chose d’elle-même qui me dit : je suis là, calme ta peine, nous nous reverrons.
« Ah ! mon pauvre Ampère ! nous avons tout perdu l’un et l’autre ; je ne chercherai pas à me consoler.
L’idée de l’oublier me révolte et je ne peux souffrir que ceux qui m’en parlent. Le jour qui me réunira à celle que j’ai chérie sera heureux. Pauvre petite ! sais-tu qu’elle m’a serré la main droite ; je la sens encore, elle me regarda, je pleurai et je me sauvai pour bien longtemps peut- être. …, puisqu’on ne meurt pas de douleur. Mais il faut absolument te soigner ; consulte M. Brac ; n’ajoute pas à mon chagrin celui de savoir l’ami de ma Julie malade, isolé, abandonné ; ton fils pauvre petit, est aussi bien qu’il peut être sans elle.
Adieu, adieu ! Peut-être un jour pourrai-je t’en parler sans contrainte. Ils disent que j’ai tort de t’en rappeler le souvenir. Adieu, adieu.
ÉLISE.
Lettre à Ampère de sa mère (1804)
Tu m’affliges, mon pauvre Ampère, quand je te vois dans état où tu étais dimanche. Tâche donc, mon bon ami, de porter ta croix avec Jésus-Christ : il visite ceux qu’il aime. Que deviendrait ce pauvre enfant s’il te perdait ? Hélas ! je vois tous les jours combien il a besoin de toi; songe qu’elle t’a recommandé son fils et les tiens ; suis-tu ses dernières volontés ? Non. Le chagrin est mortel aux hommes ; tu fais peur, maigre, pâle, comme te voilà. Sais-tu où cela peut te conduire ? A la langueur. Fais-toi donc une raison ; pense que tu as une tâche à remplir. La Providence t’a laissé un fils pour ta consolation ; l’enfant de Julie est un autre elle-même.
Tu es obligé de vivre pour l’élever dans l’amour et la crainte de Dieu, pour le suivre dans le monde et l’empêcher d’en prendre tous les vices. Tu connais mieux que moi la jeunesse, tu sais comme elle est difficile à instruire, à gouverner. Qui plus que ton Jean-Jacques aura besoin d’un mentor ? Plus je regarde ce petit être, plus je trouve combien il serait malheureux qu’il fût livré à des mains étrangères ; je suis sûre qu’il deviendrait un bien mauvais sujet. Tu me diras : que peut-on juger d’un enfant de son âge ? Et moi je te réponds qu’il a besoin de toi, que personne ne peut te remplacer, et que tu es forcé de le conserver pour lui et pour ceux qui l’entourent.
Adieu, mon fils. Prends pitié de ta pauvre mère qui donnerait tout pour te voir heureux. Envoie-nous le livre de principes que tu gardes à Jean-Jacques ; il me charge de dire å son papa : « Je l’aime bien, qu’il vienne me voir. »
Jeanne Veuve AMPERE
Lettre d’Ampère à Elise (1805)
Tu dois m’en vouloir, ma chère sœur, d’être resté si longtemps sans t’écrire mais que t’aurais-je dit ? Ma vie est un cercle dont tous les anneaux se ressemblent : m’ennuyer en travaillant, m’ennuyer lorsque j’ai un moment de repos, voilà à peu près toute mon existence. Je n’ai qu’un seul plaisir, bien creux, bien factice, et que je goûte rarement, c’est celui de me disputer sur des questions de métaphysique avec ceux qui s’occupent de cette science à Paris, et qui me montrent encore plus d’amitié que les mathématiciens. Mais ma position m’oblige à travailler au goût de ces derniers, ce qui ne contribue pas à me distraire, parce que je n’aime plus du tout les mathématiques. Depuis que je suis ici j’ai cependant fait deux mémoires de calcul qui vont être imprimés dans le journal de l’École polytechnique. Ce n’est guère que le dimanche que je puis voir des métaphysiciens, tels que M. Maine de Biran, avec qui je suis fort lié, et M. le sénateur de Tracy, chez qui je vais quelquefois dîner à Auteuil, où il demeure ; c’est presque le seul endroit près de Paris dont le paysage rappelle les bords de la Saône. On trouve aussi de jolies saussaies sur les rives de la Seine ; mais la campagne ne fait plus que m’attrister.
Il y a quelque temps je dînai à Auteuil avec le célèbre Lafayette, dont le fils a épousé Mlle de Tracy.La vue du libérateur de l’Amérique me fit éprouver une émotion dont je ne me croyais plus susceptible, dans cette sorte d’apathie morale qui fait à présent toute mon existence.
De quoi vais-je te parler ? mais en vérité je suis tellement vide d’idées et de sentiments que je ne sais trouver un sujet dont je puisse t’entretenir sans t’affliger. Tu verras dans la lettre que j’écris à ta maman que tous ceux à qui tu peux t’intéresser à Paris se portent bien.
Adieu, ma chère sœur, songe quelquefois à moi, si tu le peux faire sans trop de chagrin. Je t’embrasse de toute mon âme. Adieu.
Ton frère,
André Ampère
Lettre d’Ampère à Julien Bredin, ami intime (novembre 1805)
Nous voici aujourd’hui dans l’appartement arrêté par Degérando, rue Cassette. Tout y est à souhait : vue gaie, place suffisante, proximité des promenades et des églises. Ma position ne sera ni si bonne que je l’avais cru d’abord, ni si mauvaise que me l’annonçait cette lettre reçue le jour où je fus chez toi avec M. Daburon. J’espère pouvoir fournir à tous, les frais nécessaires et procurer à ma famille une existence facile.
En arrivant j’ai été voir ma petite Albine : sa santé est parfaite ; je la trouve jolie ; elle a été vaccinée une seconde fois avec succès. Je regretterai longtemps les derniers beaux jours que je viens de passer à Lyon. Ils étaient souvent pleins de mélancolie, mais bien doux. Que l’automne est charmant ! Maintenant c’est l’hiver flétri et glacé. La campagne renaîtra ; pour moi il n’y aura plus de printemps : les châteaux en Espagne même ne me le ramèneront pas.
Que penses-tu de la situation de Ballanche, de l’état de son âme ? Il y a pourtant des esprits qui croient que l’homme peut n’exister que pour cette triste vie, que ses sentiments et sa raison doivent lui suffire. Mais, sur ce sujet, je n’en finirais pas.
Jean-Jacques est venu me réciter un verbe latin, tout à l’heure. Il veut que je dise qu’il te baise bien fort et Bonjour aussi. Il t’a écrit, mais je ne t’envoie pas sa petite lettre ; car il n’y a que lui au monde qui puisse la lire.
Adieu.
Extrait du journal de Julien Bredin (22 et 23 avril 1811)
22 avril
En allant à Poleymieux avec Ampère, nous admirions ce beau pays, ces vallons tout remplis de nos touchants souvenirs. Nous nous sommes assis sur un débris de rocher pour causer plus à notre aise. Ampère a repassé sa vie depuis son enfance ; en arrivant près du domaine, sous les grands noyers, nous entendions le chant des oiseaux, les cris lointains des bergers. La nuit venait, je fis la prière du soir à haute voix. Après un souper rustique très agréable, nous allons nous coucher gaiement dans la fanière…
23 avril
Ce matin, Ampère et moi, nous avons quitté Bonjour, Dupré, Roux, Grognier, pour aller à Saint-Germain chez Mlle Sarcey. Pauvre cœur de mon ami, comme tu as été ému en revoyant ce joli village où tu as été si heureux ! Oh ! oui, tu as éprouvé là toutes les magies de l’amour. Mais le songe n’a pas été long, la mort est venue te réveiller. Il m’a mené dans la maison de Julie ; il m’a montré en tremblant l’arbre en berceau où leurs âmes se confondaient dans de doux entretiens, la fenêtre d’où elle le voyait arriver, ivre de bonheur. J’ai dessiné pour lui tous ces endroits…
Lettre d’Ampère adressée à François Carron, frère de Julie (17 octobre 1812)
A Monsieur Carron, courtier de commerce, rue du faubourg Saint-Denis, n° 19, à Paris.
Lyon, samedi 17 octobre 1812.
Il y a déjà. plusieurs jours, cher frère et bon ami, que je voulais t’écrire. Diverses circonstances impérieuses et le petit voyage que je viens de faire à Saint-Germain m’en ont empêché jusqu’à ce moment.
Après quelques hésitations, je me suis déterminé à racheter la portion de ma sœur dans le domaine de Poleymieux pour 25 000 francs.
Je suis allé aujourd’hui à Saint-Germain où j’ai vu ta Maman en bien bonne santé. Mme Ponchon est avec elle ; j’ai ramené mon petit qui était depuis trois ou quatre jours en vendanges. Il en avait passé autant à Bellerive, une semaine à Poleymieux. Il s’est infiniment amusé partout et il est toujours enchanté d’être venu. Il a été comblé d’amitiés par Mme Carron et Mme Périsse et par toutes les autres personnes de la famille Périsse.
Tous se portent bien. ]’ai vu aussi Mr Claude Empaire et Francisque en bonne santé; puissiez- vous être tous de même à Paris. J’ignore encore le jour précis de mon départ. Mais le 29 est le jour où je dois nécessairement me trouver à Paris et je ferai mon possible pour y être avant. Il me tarde de te revoir et de t’embrasser. Ma sœur et moi t’envoyons mille amitiés et te prions d’en présenter autant de notre part à ta femme et à Eliza. Ne m’oublie pas non plus auprès de Pignot.
Adieu, mon cher frère, je t’embrasse mille fois de toute mon âme.
A. AMPÈRE.
Lettre d’Ampère à son fils Jean-Jacques (25 septembre 1820)
J’ai eu bien tort et je me repens beaucoup de n’avoir pas fait partir cette lettre il y a trois jours. Je ne m’en consolerais pas si je n’espérais qu’en partant demain, elle te trouvera encore à Genève.
Tous mes moments ont été pris par une circonstance importante de ma vie. Depuis que j’ai entendu parler pour la première fois de la belle découverte de M. Oersted, professeur à Copenhague, sur l’action des courants galvaniques sur l’aiguille aimantée, j’y ai pensé continuellement, je n’ai fait qu’écrire une grande théorie sur ces phénomènes et tous ceux déjà connus de l’aimant, et tenter des expériences indiquées par cette théorie, qui toutes ont réussi et m’ont fait connaître autant de faits nouveaux. Je lus le commencement d’un mémoire à la séance de lundi il y a aujourd’hui huit jours.
Je fis les jours suivants, tantôt avec Fresnel, tantôt avec Despretz, les expériences confirmatives ; je les répétai toutes vendredi soir chez Poisson où s’étaient réunis les deux de Mussy
Ce matin, l’expérience décisive a été faite chez Dumotier avec un plein succès et répétée aujourd’hui à 4 heures, à la séance de l’Institut. On ne m’a plus fait d’objection et voilà une nouvelle théorie de l’aimant, qui en ramène, par le fait, tous les phénomènes à ceux du galvanisme.
Ta tante Carron va un peu mieux. J’ai été déjeuner chez elle avec ma sœur, ma cousine et Albine. Nous te regrettions tous beaucoup ; Claude Empaire, qui se trouvait à Paris, en était. Tout le monde ici attend ton retour et t’adresse mille vœux.
Vois Roux, MM. Pictet et de Candolle à Genève ! Dis à Roux l’impossibilité où je suis de lui écrire.
Mille choses de ma part à tes compagnons de voyage !
Ton papa t’embrasse mille et mille fois.
Lettre d’Ampère à son fils Jean-Jacques précédée d’un mot d’Albine (16 juillet 1827)
Mon cher frère,
Avant que papa commence la lettre qu’il va t’écrire, je lui ai demandé qu’il me l’a donne pour que j’y mettre un petit mot en attendant que je t’en écrive une longue. Je te dirai qu’il y a bien longtemps que tu ne m’a écrit, il y a à peu près deux mois. Je te prie lorsque tu auras un petit moment de me faire une lettre la plus détaillée possible. Eliza m’a dit il y a une dizaine de jours qu’il y avait a très longtemps que tu ne lui a écrit alors je me suis chargée de te gronder et de t’engager à ne plus mettre de retard à lui donner de tes nouvelles. Tu sais que la girafe est arrivée le 30 juin ; tout Paris est sur pied pour la voir, en un seul jour le pont du jardin du roi a fait 650 francs de plus qu’à l’ordinaire, on la promène tous les jours depuis dix heures jusqu’à midi dans l’École botanique, et depuis une heure jusqu’à cinq heures on entre avec des billets dans l’Orangerie qui est dans ce moment la maison de la girafe, mais il est plus agréable de la voir se promener dans l’école de botanique que de la voir dans l’Orangerie.
Comme elle ne remue presque pas dedans quand elle y est on croirait qu’elle est empaillée si elle ne ruminait pas continuellement. Ma tante et ma cousine me chargent de te faire bien des amitiés et t’embrassent de tout leur cœur.
Adieu mon cher frère je t’embrasse de tout mon cœur et je suis avec amitié ta chère sœur.
J’ai reçu ta lettre du 6 juillet hier 15, je me dépêche de t’écrire à Copenhague, où tu n’oublieras pas de voir M. Œrsted de ma part et de lui dire tout ce que tu jugeras de mieux. Tu sais que c’est lui qui a ouvert la carrière où j’ai marché.
Le pauvre Fresnel est mort avant-hier 14 juillet à Ville-d’Avray, où son enterrement a lieu aujourd’hui. Je n’ai pas pu y aller à cause que je suis juré à la Cour d’assises et justement le sort m’a favorisé, je me trouve libre et j’en profite pour t’écrire ; mais ce n’est qu’à 10 heures qu’on a tiré au sort et il aurait fallu être à Ville-d’Avray dès 9 heures. Comme, d’après une lettre précédente, je croyais que tu irais d’abord à Stockholm, je t’y ai déjà écrit il y a plusieurs jours ; tu y trouveras cette lettre qui en contient une autre de M. Olivier pour l’aumônier de la princesse royale de Suède, qui a beaucoup cultivé les langues scandinaves et en a fait une traduction dont je te prie, dans cette lettre, de m’apporter deux exemplaires.
Tu me feras bien plaisir de m’écrire toutes sortes de détails sur le Danemark et la Suède. Ces deux pays, le dernier surtout, sont, pour moi, de grands objets de curiosité. Le sol, l’aspect du pays, les villes, le caractère des habitants, les effets du gouvernement si remarquable de la Suède, tout m’intéresse sur ce pays.
Adieu, cher et bon ami, tous ceux que tu aimes ici vont bien.
Tout à toi.
A. AMPÈRE
Lettre d’Ampère au mathématicien Hachette (30 avril 1829)
Paris. Jeudi 30 avril 1829
« Mon cher et excellent ami, Monsieur Frédéric Cuvier m’étant venu voir ce matin, je lui ai communiqué la lettre que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire hier, et comme nous tenons extrêmement tous deux à faire les examens de Versailles avec vous, nous sommes convenus que, conformément à ce que vous me dites dans cette lettre nous irions tous trois à Versailles jeudi soir. J’ai pensé que ce que nous avions de mieux à faire c’est que vous veniez ce jour-là dîner, ainsi que Fréderic, avec moi, à 5 heures précises afin de pouvoir être à 7 heures à la voiture de Versailles, dont j’aurai fait retenir dès l’avant-veille, les trois places du coupé pour nous trois, un fiacre, pris à 6 heures et demie chez moi, nous conduira au bureau de la voiture retenue. Avant de parler de ce projet à Monsieur Fréderic Cuvier, j’ai voulu savoir s’il vous convenait, quoique je ne vois pas pourquoi vous ne me feriez pas l’amitié de l’agréer, c’est pourquoi je vous prie de me marquer par un mot de réponse que vous vous réunirez avec nous chez moi, à 5 heures le jeudi 7 mai, c’est-à-dire d’aujourd’hui en huit, pour partir à 6 heures et demie de chez moi pour Versailles, nous préviendrons en arrivant le proviseur que nous commencerons les examens dès le matin le lendemain, et nous nous arrangerons avec lui pour que tous les examens, au nombre de six, puissent se faire dans les quatre séances du vendredi et du samedi. Dès que vous m’aurez écrit, ce dont je vous prie par toute
l’amitié que vous avez pour moi, que tout cet arrangement vous convient, j’écrirai à Fréderic pour l’inviter, je suis sûr d’avance de son assentiment. Je vous prie d’offrir à Madame Hachette, et d’agréer pour vous même l’assurance de ma bien sincère amitié et du plus entier dévouement.
A. Ampère – Jeudi 30 avril 1829.
Post Scriptum : Je suis après lire votre géométrie descriptive pour en faire le rapport que je veux adresser au ministre avant notre départ pour Versailles. »
Epitaphe de la tombe d’Ampère (et de Jean-Jacques) à Montmartre
Il ajouta aux connaissance humaines dans les sciences mathématiques, physiques, métaphysiques et morales.
Il créa la théorie de l’électrodynamique.
Il écrivit l’essai sur la philosophie des sciences.
Vrai chrétien, il aima l’humanité et fut simple et grand.
Quelques photos du spectacle :













Photos SAAMA
Choix des textes, écriture et pojections : Bernard Pallandre
Mise en scène : Corinne Caudan
Narration : Jean-Félix Hurbin
Choix musicaux et chorégraphie : Patricia Pallandre
Costumes : Guislaine Ducerf-Galland
Régie : François Jolly
Lectures : Alain Chénard, Florence Magnard, Anne et Cyril Sablé
Ballets : Hèlène Levisage, Anne Malissin, Claire Malissin, Lise Malissin, Gaëlle Malissin, Marie Malissin, Isabelle Mirabella, Nassera Tahiri, Ivan Valderama